5. NOS ANCIENNES FOUILLES ET PROSPECTIONS

Il est rappelé que toute reproduction de n’importe quelle partie de ce site Internet est interdite sans autorisation préalable de l’Association Archéologique Entremont.

PRÉAMBULE

L’équipe de recherche de l’Association Archéologique Entremont, uniquement composée de bénévoles amateurs, a commencé ses activités de fouilles en 1976 et les a arrêtées en 1988, faute de temps disponible pour celui qui la dirigeait, Jean-Louis Charrière, trop pris par ses obligations d’enseignant. Toutefois, après l’arrêt des fouilles sur le terrain, le travail a continué jusqu’en 1996 sous la forme de travaux de laboratoire (traitement et étude des objets recueillis pendant les fouilles). Puis l’équipe a été dissoute au printemps de 1996, quelques activités ponctuelles ayant cependant continué jusqu’en 1998. 
Cette activité de fouille a donné lieu à la réalisation de très nombreuses photographies (en noir et blanc ou en couleurs), dessins et plans.
D’autre part, plusieurs membres de l’association avaient déjà participé, avant la création de l’équipe, à d’autres chantiers et à des prospections et ils continuèrent cette activité jusqu’à la dissolution de l’équipe. J.-L. Charrière lui-même participa en 2009 à un petit chantier sur l’oppidum d’Entremont dirigé par Marion Berranger et Patrice Arcelin.

On ne trouvera ici qu’un compte rendu résumé de nos fouilles. Elles ont fait l’objet de rapports plus détaillés remis aux autorités archéologiques.

Les illustrations seront insérées peu à peu ultérieurement. Leur nombre et leur choix sont actuellement provisoires.

5.1. FOUILLE SUR L’OPPIDUM D’ENTREMONT

(dernière mise à jour de cette page : 30 avril 2020)

Pour une découverte générale de l’oppidum d’Entremont, voir rubrique 4 de ce site Internet. 

Bilan résumé établi par Jean-Louis Charrière, responsable de la fouille.
Sauf mention contraire, les dessins, plans et photos sont de l’auteur.

SOMMAIRE
A. Présentation générale
B. Stratigraphie et chronologie 
C. Architecture 
D. Aménagements intérieurs
E. Le pressoir 
F. Autres éléments du mobilier
G. La céramique

A. PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Toutes les dates relatives aux vestiges sont antérieures à notre ère.

La fouille, accomplie à leurs moments de loisir par une équipe de bénévoles de l’Association Archéologique Entremont, commença en mai 1976 et s’acheva en juillet 1985, après une longue interruption d’octobre 1978 à avril 1985. 
L’autorisation officielle avait été accordée par la Direction Régionale des Antiquités Historiques (DRAH), organisme appelé aujourd’hui Service régional de l’Archéologie (SRA), à Jean-Louis Charrière, responsable du chantier, assisté de Suzanne Decoppet. Robert Ambard, responsable des fouilles d’Entremont depuis 1969, participa activement pendant les deux ou trois premiers jours, puis se contenta de venir surveiller de temps en temps.
Les principaux autres participants furent Louis André, Patricia Barbero, Edmée Bodin, Renée Bourelly, Maurice Dalaudière, Roger Favarel, Suzanne Gallet, Joseph Gauberti, Mireille Lecat, Anne-Marie Lesaing, Marie-Louise Mesly-Rousset, F. Paillard, Eliane Peyrot, Jean Pillement, Suzanne Tamisier, Jean Thiriet, Suzanne Valentini et Nicole Van Puyvelde.
    L’objectif était la fouille de la pièce (ou « case » (terme d’Ambard) ou « espace ») 1 de l’îlot 3, (je dirai par la suite simplement « 3, 1 ») situé dans la « ville basse », près de l’angle ouest de l’oppidum.
Les photographies étaient tantôt en noir et blanc (par nécessité financière), tantôt en couleur. À cette époque il s’agissait naturellement de photos argentiques et très souvent de diapositives ; malheureusement certaines de ces dernières ont perdu leurs couleurs au fil des années et lors de leur numérisation elles sont apparues en teintes très dégradées.

Fig. 1 : Entremont, plan d’ensemble de l’oppidum (P. Arcelin 2006) avec situation des pièces 1 et 2 de l’îlot 3.

Cette pièce avait déjà fait l’objet d’un sondage par R. Ambard en 1957 sous la forme d’une tranchée qui avait mis au jour une grande pierre de pressoir (maie) qui était restée sur place (cf. la revue Gallia, tome XVI, fasc. 2, 1958, p. 414, disponible en ligne : https://www.persee.fr/doc/galia_0016-4119_1958_num_16_2_2248). La partie étroite de cette tranchée avait été rebouchée ensuite.
Un plan du secteur fut publié ensuite dans Gallia, tome XVIII, fasc. 2, 1960, Informations archéologiques, fig. 7, où il y a par erreur une inversion de la numérotation des pièces 1 et 2. Disponible en ligne : https://www.persee.fr/doc/galia_0016-4119_1960_num_18_2_2307

Fig. 2 : Plan des fouilles de Robert Ambard dans l’îlot 3 (extrait de la revue Gallia, 1960, fig. 7).
Fig. 3 : Entremont, photo par Ambard, depuis le sud-ouest, de sa tranchée de sondage dans les pièces 1 et 2 de l’îlot 3 en 1957. On voit la maie de pressoir redressée par les fouilleurs et, à droite, de nombreux fragments de dolium accumulés sans souci d’enregistrement (pratique habituelle à cette époque) sur le bord du chantier. On est en train d’installer une clôture pour isoler le chantier de fouille du camp militaire existant alors sur la colline.
Fig. 4 : Entremont, pièce 3, 1 en mai 1976 avant le commencement de la fouille. On voit R. Ambard en tricot blanc et un ouvrier en train de pratiquer une ouverture dans le grillage de la clôture installée en 1957 et devenue inutile après le déménagement du camp militaire.

La fouille complète a confirmé qu’il s’agissait bien d’un atelier de pressurage. J’emploie le mot imprécis « atelier de pressurage » parce que la nature de la production (huile ou vin) reste à l’heure actuelle encore un peu incertaine comme je l’expliquerai.

En 1980, Gaëtan Congès, conservateur du Patrimoine à la DRAH, fouilla la pièce contiguë au sud-ouest (3, 2) qui avait été déjà en grande partie dégagée par R. Ambard en 1957 (cf. fig. 2 et 3). Il constata que c’était un espace de stockage de l’atelier de pressurage contenant notamment de nombreux doliums (= jarres). Le mur sud-ouest (M5) de cette pièce n° 2 avait disparu ainsi qu’une bonne partie du mur nord-ouest.

Fig. 5 : Entremont, 3,2 (entrepôt du pressoir), plan de la fouille de G. Congès extrait de la revue DAM, 1998, p. 46. M = mur, F = foyer. La pièce 1 (celle du pressoir lui-même) est au-dessus de l’image.

Il y a quelques années, tout ce secteur de l’oppidum a été remblayé par mesure de protection sur décision du SRA et les vestiges que nous avions dégagés sont désormais invisibles.

Publication

Les résultats de cette fouille ont été consignés dans plusieurs rapports successifs remis à la DRAH. Les données acquises concernant l’organisation de l’atelier et de son dépôt (pièces 1 et 2 de l’îlot III) ont été publiées dans : Brun J.-P., Charrière J.-L., Congès G., L’huilerie de l’îlot III et les pressoirs d’Entremont, article figurant le dossier « Entremont et les Salyens, Actes du colloque d’Aix-en-Provence, octobre 1996 » inclus dans la revue Documents d’Archéologie Méridionale, n°21, 1998, p. 44-57 (disponible en ligne : https://www.persee.fr/issue/dam_0184-1068_1998_num_21_1 ). La publication papier contenait en supplément un CD-ROM comportant beaucoup plus de données. Dans cet article, le pressoir est encore considéré comme un pressoir à huile alors que c’est douteux aujourd’hui.

B. STRATIGRAPHIE ET CHRONOLOGIE

Il n’est pas possible de présenter ici en une seule image la grande coupe stratigraphique qui suit la diagonale ouest-est de la pièce. La voici donc en trois parties qui se chevauchent pour faciliter la lecture. La légende est après la 3e partie.

Fig. 6 a-b-c : Entremont 3,1, coupe stratigraphique en diagonale de l’angle ouest à l’angle est.
Fig. 6 d : Entremont 3,1, légende de la coupe stratigraphique diagonale pour la couleur des strates.

Stratigraphie

La couche de surface (de 25 à 45 cm d’épaisseur) était très perturbée : la colline d’Entremont était en effet une terre agricole depuis de nombreux siècles et elle avait en outre été occupée par un camp militaire de 1943 à 1972.
— En dessous est apparue la couche de destruction antique (40 à 50 cm d’épaisseur) qui contenait l’essentiel du « mobilier », c’est-à-dire les objets antiques. Cette couche ne contenait aucun indice de l’existence éventuelle d’un étage. 
— En dessous encore se trouvait un remblai de terre et gravier constituant le sol antique de la pièce, ce remblai, très pauvre en mobilier, reposant sur le substrat rocheux naturel constitué de couches diverses superposées. 

Nous n’avons remarqué aucune preuve d’un remaniement significatif des murs ou du sol qu’il faudrait situer après la construction originelle, sauf peut-être la porte d’accès sur la rue (voir plus loin). 

La présence de mortier près de l’angle sud (à la limite entre les carrés F7 -G7 ; voir fig. 8) et près de l’angle est (à la limite entre les carrés G3 – H3) montre que le terrain a été par endroits perturbé, probablement lorsqu’il y avait un camp militaire sur la moitié sud-ouest de la colline. Sans parler des perturbations provoquées par l’implantation de poteaux en ciment en 1957 pour séparer ce camp de la zone des fouilles.

Chronologie

Les indices archéologiques tirés de la fouille et ce que l’on sait par ailleurs de l’histoire d’Entremont permettent de dire que cet atelier fut construit lors de l’extension de l’oppidum, vers le milieu du 2e siècle, puis détruit et abandonné lors d’un assaut donné par une armée romaine. En effet, nous avons trouvé des traces d’incendie et un boulet de baliste en basalte encore en place sur le sol antique. Mais nous ne pouvons pas affirmer que cet assaut est celui de 123, dirigé par le proconsul Sextius. Ce pourrait être aussi un autre assaut éventuel en 90, lors de la répression d’une révolte salyenne par le Romain Gaius Caelius, épisode très mal connu, qui pourrait être la date de l’abandon définitif de l’oppidum d’Entremont.

Fig. 7 : Entremont 3, 1, boulet de baliste romaine trouvé sur le sol de la pièce.

C. ARCHITECTURE

Les murs principaux    

La pièce a la forme d’un losange proche du carré, assez régulier, les côtés mesurant entre 5,5 m et 5,7 m. La surface est d’un peu plus de 31 m2, ce qui la situe parmi les plus grandes actuellement dégagées sur l’oppidum. C’est pourquoi il avait fallu un poteau central pour soutenir la toiture (les toitures d’Entremont étaient faites d’une couche d’argile en très faible pente, étendue sur un réseau de branchages soutenu par des poutres et des poutrelles). Nous avons retrouvé, enfouie à quelques centimètres sous le sol, la grosse pierre plate qui supportait ce poteau au centre de la pièce. 

Fig. 8 : Entremont 3, 1, plan des structures architecturales. 1 = porte d’entrée (ouvrant sur la rue) ; 2 = porte d’accès à l’entrepôt ; 3, 4, 5 = murs principaux ; 6 = mur de séparation avec l’entrepôt ; 7 : base en pierre du poteau central soutenant la charpente du toit ; 8 = lacune dans le mur 5.

Les trois murs principaux mesurent 55 à 70 cm d’épaisseur ; le mur sud-ouest, qui sépare l’atelier de son entrepôt, est un peu plus léger (50 cm). Ces murs sont bâtis en pierres calcaires locales irrégulières, parfois assez grosses, liées simplement avec de la terre argileuse, et sont sans fondation. Ils étaient conservés sur une hauteur variant de 35 à 65 cm.
La partie haute de la moitié nord-est du mur 4 avait été reconstituée sur sa face nord-ouest par Ambard en 1957. Nous avons reconstitué à notre tour la face sud-est du même tronçon de mur et, par le même souci de conservation, nous avons restauré un peu aussi les parties hautes des autres murs, mais après avoir relevé pierre à pierre l’état apparu lors de la fouille.
Le mur sud-est (n° 5) présente une lacune sur près de 2 m près de l’angle est de la pièce ; nous l’avons laissée telle quelle parce que nous en ignorons la cause ; l’emplacement de cette lacune tout près de la porte d’entrée semble incompatible avec l’hypothèse d’une autre porte ; nous pensons qu’il s’agit plutôt d’une destruction survenue à une date récente à cause de la présence d’un peu de mortier (voir § B, Stratigraphie).

Les portes

Nous avons reconnu deux portes. La plus grande (fig. 8, n° 1), pratiquée dans le mur nord-est, contre l’angle est de la pièce, ouvre sur la rue. Elle mesure à peu près 2 mètres, ce qui en fait probablement la plus grande des portes connues sur l’oppidum. Curieusement, elle n’est pas alignée avec le mur n° 3 dans lequel elle avait été ouverte mais déborde sur la rue. Le seuil reposait sur une couche de petites pierres plates : il a disparu, ce qui nous fait penser qu’il était en bois. Il se trouvait ainsi à 45 cm environ au dessus du sol de la pièce, ce qui avait nécessité l’aménagement du rocher sous-jacent pour en faire une sorte de marche. Le sol de la pièce était donc un peu en contrebas du niveau de la rue, ceci étant dû à la pente générale du terrain.

Fig. 9 : Entremont 3, 1, porte d’entrée ouvrant sur la rue (qui est à droite). On voit les petites pierres qui supportaient certainement une grosse planche (disparue) formant seuil.

L’autre porte (n° 2), au milieu du mur sud-ouest (n° 6), faisait communiquer l’atelier avec son dépôt. Sa largeur est incertaine parce que les piédroits étaient détruits, 1,40 mètre au maximum.

Fig. 10 : Entremont 3, 1, porte faisant communiquer la pièce du pressoir et l’entrepôt (3, 2). Les piédroits ont disparu. Il n’y avait pas de seuil mais un amas désordonné de pierres.

Un aspect du plan d’urbanisme

On constate que l’ensemble du lot attribué au propriétaire de l’atelier, au moment de la construction de ce quartier de l’oppidum, avait la forme d’un rectangle d’environ 10 m sur 5 m, et que ce rectangle a été divisé ensuite pour former deux pièces à peu près carrées (l’atelier et son entrepôt). Les autres lots contigus au nord-ouest, de mêmes proportions, ont été partagés au contraire dans le sens de la longueur, pour créer deux espaces longs et étroits (voir ci-dessus fig. 2). Il semble donc que l’autorité de la cité délimitait, dans ce secteur en tout cas, des lots exigeant la construction de murs mitoyens et que chaque attributaire structurait ensuite l’intérieur de ce lot à sa guise.

D. AMÉNAGEMENTS INTÉRIEURS

Nous avons dégagé, contre le mur sud-est et perpendiculaires à lui, deux petits murets parallèles, longs d’environ 1 m et épais de 30 à 40 cm (voir fig. 8, carrés G5-H5 et G7). Ils étaient en partie effondrés et leur hauteur d’origine était indéterminable, mais leur faible épaisseur et leur mode de construction sommaire ne permettaient pas qu’ils soient bien hauts. Ils délimitent des sortes de réduits. Celui qui se trouve dans l’angle sud contenait des débris d’un dolium. Nous avons restauré ces deux murets avec les pierres écroulées à leur pied.

Fig. 11 : Entremont 3, 1, petit réduit contenant un dolium dans l’angle sud de la pièce.

Près de la porte d’entrée, contre le mur sud-est (fig. 8, carrés G4 – H4), est apparue une cuvette circulaire creusée dans le substrat rocheux, que nous avons interprétée comme le lit d’un dolium disparu. Elle contenait trois pierres de calage, d’autres pierres en désordre, un couvercle d’amphore et des débris d’amphore. Par la suite, l’enlèvement du remblai constituant le sol de circulation fait apparaître autour de cette cuvette un gros bourrelet de terre blanche décrivant un tiers de cercle du côté nord ; ce bourrelet est percé de plusieurs trous alignés en arc de cercle que nous interprétons comme la trace de piquets ayant soutenu un dispositif de protection du dolium placé dans cette cuvette.

Fig. 12 : Entremont 3, 1, cuvette (lit de dolium) dans les carrés G4 – H4, avec pierres de calage.
Fig. 13 : Entremont 3, 1, cuvette (lit de dolium) dans les carrés G4 – H4, bordée du côté nord d’un bourrelet de terre blanche percé de trous.

Une autre cuvette en forme de L, contre le mur nord-est (carrés D3, D4, E3) reste énigmatique.

Fig. 14 : Entremont 3, 1. À droite, cuvette énigmatique dans les carrés D3, D4, E3), et à gauche grosse dalle de pierre un peu surélevée dans le carré C3.

Dans l’angle nord (carré C3), posée sur un talus d’environ 15 cm de haut, se trouvait une belle dalle de pierre (fig. 14), de forme trapézoïdale mesurant de 18 à 20 cm d’épaisseur, 55 à 56 cm de largeur et pour sa longueur 1,12 m sur son plus grand côté, 0,84 m sur l’autre. De tels blocs n’ont pas été vraiment taillés, il suffisait d’abattre un morceau d’une strate de calcaire offrant naturellement deux faces planes entre deux couches marneuses comme c’est visible dans une carrière non datée qui a été mise au jour à 150 m au nord-ouest de l’oppidum lors des terrassements effectués pour créer la voie rapide RN296 (cf. dans le présent site Internet, § 4.1.4. Description rapide de l’oppidum / Les matériaux et les techniques). L’utilité de cette dalle nous échappe : banc ? support, mais de quoi ?

Au pied du jambage nord de la porte d’entrée se trouvaient les débris d’une plaque de foyer en argile, ornée de petits cercles imprimés en creux. Ce décor est connu sur beaucoup d’autres plaques de foyer d’Entremont et d’autres oppidums et semble avoir une fonction rituelle (apotropaïque, contre le mauvais sort ?). Le foyer des maisons salyennes est très souvent à côté de la porte d’entrée, pour l’évacuation de la fumée, pense-t-on. 

Fig. 15 : Entremont 3, 1, débris d’une plaque de foyer trouvés dans les carrés E3 – F3.

À côté du foyer, un trou pourrait bien être le lit d’une pierre-butoir plantée là pour empêcher que la porte, en s’ouvrant vers l’intérieur, vienne jusque sur le foyer.

Fig. 16 : Entremont 3, 1. À gauche (carré F3), trou d’implantation supposée d’une pierre servant de butoir de porte pour éviter que la porte d’entrée, dont on aperçoit le seuil non encore dégagé en haut de la photo, vienne en s’ouvrant jusque sur le foyer situé juste à gauche du trou..

Tout à fait dans l’angle ouest se trouve un autre trou mesurant 33 cm de profondeur pour une section de 15 x 22 cm. Sa fonction est inconnue : avait-il un rôle dans le système du pressoir ? Était-il simplement une cachette comme d’autres semblables trouvées sur l’oppidum ?

E. LE PRESSOIR

Pour quelle production ?

Depuis le début de ses fouilles à Entremont au lendemain de la deuxième guerre mondiale, Fernand Benoit avait  toujours pensé que les pressoirs assez nombreux qu’il avait découverts étaient des huileries. Et en effet l’huile d’olive était très utilisée dans l’antiquité dans les régions méditerranéennes non seulement pour la cuisine, mais aussi pour l’éclairage, les soins de peau (y compris les parfums) et sûrement d’autres usages encore. Et les autres archéologues l’avaient suivi. 

Et puis, en 2015, des analyses furent demandées au laboratoire Nicolas Garnier à Vic-le-Comte (63) à qui on confia des morceaux de deux doliums trouvés dans notre atelier de pressurage et dans son dépôt pour qu’il détermine la substance qu’avaient contenue ces grands récipients d’après les traces infiltrées dans leur paroi. Et la surprise fut grande : ces doliums, en particulier le plus grand, d’une capacité d’environ 700 litres, n’avaient pas contenu de l’huile mais du vin. Cela laisse supposer qu’après un piétinement des grappes dans une cuve en bois pour en extraire le jus, le marc restant (rafle et peau des grains) était placé dans un sac, lequel était ensuite soumis au pressoir pour en extraire encore un peu de jus.

La question s’est alors posée de savoir si ce pressoir avait servi uniquement à la production de vin ou s’il avait pu servir aussi, par un emploi mixte, à la production d’huile d’olive. Certes ce double emploi fait faire la grimace, mais après tout, nous ne sommes pas des Salyens ! Et de fait, lors de notre fouille, nous avions fait analyser par le laboratoire d’analyses médicales du Dr M. Andrac à Marseille un échantillon de la terre qui se trouvait au centre de la pièce, près de la jatte qui recevait le jus coulant de la maie, et qui avait une couleur plus sombre qu’ailleurs : cet échantillon contenait presque deux fois plus de lipides que les échantillons prélevés ailleurs dans la pièce : alors, huile d’olive ou de pépins de raisin ou autre corps gras ? Bref, d’autres analyses sur d’autres morceaux de dolium provenant d’autres ateliers de pressurage d’Entremont seraient nécessaires.

Le mécanisme 

Tout ce qui était en bois avait disparu. Au centre de la pièce se trouvait une cuvette creusée dans le substrat rocheux et profonde d’environ 35 cm par rapport au sol antique. Elle servait de réceptacle à un grand vase (disparu) recueillant le jus de pression qui s’écoulait de la dalle de pressurage (la maie) posée par terre à côté. 

Fig. 17 : Entremont 3, 1. Cuvette creusée dans le sol à peu près au centre de la pièce (carrés D5-6 et E5-6), pour y placer un grand vase destiné à recueillir le jus de pression coulant de la maie.

Au bord de cette cuvette se trouvait un très gros bloc de pierre à peu près parallélépipédique, percé d’un trou en son centre pour le passage d’une corde ou d’une barre de manœuvre. C’est un contrepoids servant à augmenter la pression du levier de presse. Il est possible que le poteau central de la pièce ait joué un rôle (guide, support) dans le fonctionnement du levier. 

Fig. 18 : Entremont 3, 1. À gauche, bloc de pierre servant de contrepoids pour le pressoir ; à droite, la cuvette où était placé un vase recevant le jus de pression. Au premier plan, une masse de terre non encore enlevée.

La maie avait été retrouvée par Ambard en 1957 près de l’angle ouest de la pièce, posée à l’envers sur le sol antique, probablement retournée lors du pillage de l’oppidum par les troupes romaines. Il l’avait alors fait redresser sur le chant et elle était restée à l’air libre, peu à peu dégradée par les intempéries.

Fig. 19 : Entremont 3, 1. La maie de pressoir en juillet 1976 dans la position où l’avait laissée Ambard en 1957. On voit, dans sa partie haute, la rigole retaillée après la cassure et, à gauche, le bec verseur.

Cette maie est en mollasse de couleur un peu rosâtre dont on ne connaît pas la provenance exacte, mais il y a des couches géologiques de cette roche aux environs d’Aix. Elle mesurait à l’origine 144 cm de long sur 125 cm de large avec une épaisseur d’environ 15 cm ; mais elle avait été ébréchée dans l’antiquité et la rigole avait dû être refaite « en raccourci ». Cette rigole circulaire sert à récupérer le jus de pression et le dirige vers le bec verseur d’où ce jus tombe dans le vase placé dans la cuvette mentionnée ci-dessus. Elle était à l’origine posée sur le sol, dans l’axe de la diagonale ouest-est de la pièce, entre l’angle ouest et le centre de la pièce. Nous avions demandé à la fin de la fouille qu’elle soit mise à l’abri, mais notre vœu ne fut pas satisfait et elle continua à être abîmée par les pluies et le gel avant de se retrouver enterrée quelques années plus tard, lorsque tout ce secteur de l’oppidum fut remblayé par mesure de protection.

C’est sur cette maie qu’étaient empilés plusieurs scourtins (sacs) contenant le marc de raisin (ou bien, parfois, les olives concassées ?). Puis, par l’intermédiaire d’un gros levier disposé selon la diagonale ouest-est de la pièce et passant au-dessus de la maie, les ouvriers écrasaient ces sacs pour en faire sortir le jus. Le  levier s’articulait, par un dispositif inconnu, entre deux poteaux verticaux en bois, dont les trous de fixation ont été retrouvés, creusés dans le substrat rocheux, près de l’angle ouest de la pièce. On suppose que ces poteaux étaient fixés en haut à une poutre horizontale perpendiculaire à l’axe du levier et dont les deux extrémités pénétraient dans les murs de la pièce, pour une bonne stabilité.

Fig. 20 : Entremont 3, 1. Les deux trous découverts dans l’angle ouest de la pièce, dans lesquels étaient plantés les deux poteaux du bâti en bois sur lequel s’articulait le levier de presse.
Fig. 21 : Détail d’un vase grec du 6e siècle avant notre ère montrant un pressoir en fonctionnement. Un ouvrier vérifie l’accrochage de deux grosses charges au levier et un autre s’y suspend pour augmenter encore la pression ; on voit le jus qui coule dans un grand récipient et, petit trait d’humour, un volatile qui se promène sous le pressoir. (Musée archéol. national d’Athènes).
Fig. 22 : Entremont 3, 1. Dessin de restitution hypothétique du pressoir (JLC). Le plus incertain est l’articulation du levier entre les poteaux.

F. AUTRES ÉLÉMENTS DU MOBILIER

Le saccage dont fut victime cet atelier lors de l’assaut militaire romain complique les efforts d’interprétation du chercheur : la maison fut incendiée (nombreux charbons et cendres), les vases furent presque tous brisés et éparpillés et la maie du pressoir fut même retournée. Voici d’abord le plan détaillé des objets découverts puis un bref bilan pour le mobilier non céramique.

Fig. 23 : Entremont 3, 1. Plan complet.

Bois 

Parmi les débris de bois carbonisé, les uns étaient probablement des planches, d’autres ressemblent à des poutrelles. Voir fig. 23. Il est impossible de dire d’où ils proviennent : étagère, coffre, banc, porte, poteau, pressoir, charpente du toit…? La tranchée de sondage de 1957, dont il a été impossible de retrouver le mobilier découvert, a fait disparaître beaucoup de choses.
Nous avons prélevé ceux qui étaient d’assez grandes dimensions en les enveloppant dans des bandes plâtrées renforcées avec des attelles. L’analyse effectuée en mars 1985 par Michel Thinon (département de « Botanique et écologie méditerranéenne » de la faculté de Saint-Jérôme à Marseille) a permis de reconnaître du chêne à feuilles caduques (probablement chêne pubescent) pour tous les morceaux, sauf un qui est de l’orme champêtre.

Fig. 24 : Entremont 3, 1. L’ensemble des grands fragments de bois carbonisé récupérés dans des bandes plâtrées renforcées avec des attelles.

Pierre  

J’ai déjà signalé un boulet de baliste (fig. 7), pesant 5,635 kg et taillé dans un basalte dont l’analyse effectuée par C. Coulon (Centre de pétrologie, Centre universitaire de Saint-Jérôme à Marseille) a montré qu’il provenait vraisemblablement d’Italie. On peut en déduire que c’était une munition apportée par l’armée romaine. 

Nous avons aussi trouvé une vingtaine de galets, dont les plus gros (jusqu’à 1385 g) proviennent de la Durance, et diverses autres pierres dont certaines ayant eu manifestement un usage précis. Cet usage est difficile à déterminer : les uns ont pu servir d’aiguisoir ou de polissoir, d’autres de pierre pour chauffer l’eau (après avoir été chauffés sur le feu, procédé bien connu dans l’antiquité), plusieurs ont sans doute servi de pilon, d’autres, très petits, ont peut-être servi de jeton pour compter ou jouer.

Nous avons aussi recueilli plusieurs éclats de silex qui, montrés en 1980 au préhistorien Gabriel Camps (CNRS), se sont révélés être des éclats naturels.

Fig. 25 : Entremont 3, 1. Presque tous les galets découverts.
Fig. 26 : Entremont 3, 1. Autres objets ou débris en pierre. En bas à gauche, une concrétion naturelle évoquant un volatile (jouet d’enfant ?).

Restes d’animaux 

Ils sont peu nombreux, très fragmentés et difficiles à identifier. Nous les avons confiés à Philippe Columeau ( Centre C. Jullian, CNRS) en mars 1983 et il nous a fourni les déterminations possibles en mars 1986. Sans entrer dans les détails, je signalerai ici :
— sept fragments de porc, dont six dents.
— onze fragments d’ovicapridés (moutons et chèvres), dont une dent.
J’ajoute un petit fragment de corail rouge brut destiné probablement à une parure.

Fig. 27 : Entremont 3, 1. Débris d’os, dents, coquilles et un morceau de corail rouge en bas à droite.

Métaux

— Fer : nous avons recueilli 45 clous, de 2 à 15 cm de long, dont 10 entiers ou presque ; une lame de couteau avec une partie de sa soie, de 22,5 cm de long ; 2 anneaux brisés ; un système articulé qui ressemble à un mors de cheval ; quelques autres pièces ou fragments pas toujours identifiables, dont de petits débris d’équipement militaire.

Fig. 28 : Entremont 3, 1. Clous et débris en fer (1er groupe).
Fig. 29 : Entremont 3, 1. Clous, anneaux et débris en fer (2e groupe).
Fig. 30 : Entremont 3, 1. Divers objets en fer (3e groupe).
Fig. 31 : Entremont 3, 1. Articulation en fer ressemblant à un mors de cheval.

— Plomb : signalons principalement une petite pastille, qui a peut-être servi de jeton de compte.
— Bronze : il faut mentionner un fragment de petit bracelet, orné de stries. 

Fig. 32 : Entremont 3, 1. Fragment de bracelet en bronze.

Monnaies 

Nous en avons trouvé deux :
— un hémichalque massaliète daté du IIe siècle par Louis Chabot d’après M. Py (poids 1,65 g). Droit (on dit aussi avers) : tête d’Apollon vers la droite. Revers : taureau « cornupète » (= qui charge, la tête baissée) vers la droite. C’est une monnaie coulée en chapelet puis découpée. Cette monnaie a subi l’action du feu et seuls les spécialistes savent la décrypter !

Fig. 33 : Entremont 3, 1. Hémichalque massaliète, droit (avers).
Fig. 34 : Entremont 3, 1. Hémichalque massaliète, revers.

— un bronze (as oncial) mal identifiable, qui semble dater du début du IIe s. d’après Gisèle Gentric qui a étudié toutes les monnaies trouvées à Entremont. Je n’en donne pas de photo parce que cette monnaie est quasiment illisible.

G. LA CÉRAMIQUE

    En général, nous avons trouvé des tessons éparpillés sans possibilité de les assembler pour reconstituer les objets. Mais nous avons pu quand même identifier quelques vases et parfois, avec patience, les reconstituer plus ou moins complètement. Voici d’abord des images du travail de reconstitution, puis des images de diverses céramiques. Quelques-uns des objets que nous avons découverts sont exposés au musée Granet, à Aix-en-Provence.

Fig. 35 : Entremont 3, 1. La recherche des tessons qui se correspondent et leur assemblage : un travail de patience ! Ici, Suzanne Decoppet.
Fig. 36 : Entremont 3, 1. Le dessin du profil des tessons significatifs, par S. Decoppet.
Fig. 37 : Entremont 3, 1. Reconstruction d’une amphore (M.-L. Mesly-Rousset, E. Bodin, A.-M. Lesaing).
Fig. 38 : Entremont 3, 1. Reconstruction partielle à l’aide de plâtre d’un grand dolium (voir fig. 39), avec fabrication d’un « berceau » en bois (Maurice Dalaudière).

Fabrication locale, modelée et non tournée : c’est la plus abondante. 

— les doliums (jarres) : ces récipients, de taille très variable, servaient à stocker toutes sortes de denrées, liquides ou solides. Nous en avons identifié 4, incomplets ; le plus grand (fig. 39) mesure 1,47 m de haut et à peu près 1 m de diamètre, ce qui est considérable. On enterrait partiellement les plus grands à la fois pour y puiser plus facilement, pour réduire les écarts de température et pour éviter qu’ils se disloquent sous la poussée du liquide contenu. 

Fig. 39 : Entremont 3, 1. Grand dolium (1,47 m de haut) partiellement reconstruit (voir fig. 38).

— 1 bord de vase en torchis, matériau poreux permettant une certaine aération du contenu.
— la vaisselle ordinaire : à pâte assez grossière de couleur grise, noirâtre ou beige, souvent « peignée », les stries produisant un décor plus ou moins élaboré. On y reconnaît des couvercles (certains percés d’un petit trou peut-être pour l’évacuation de la vapeur), des coupes, des pots de différentes dimensions.

Fig. 40 : Entremont 3, 1. Vase dit « indigène » (fabrication locale ).
Fig. 41 : Entremont 3, 1. Couvercle « indigène » (fabrication locale ).

— une fusaïole, petite masse bitronconique percée verticalement en son centre et qui sert à lester l’axe du fuseau de la fileuse pour le faire tourner sur lui-même (fig. 42).

Fig. 42 : Entremont 3, 1. Dessin et coupe d’une fusaïole.

Il y a aussi quelques tessons d’imitation locale de céramique campanienne (pour la céramique campanienne, voir ci-après).

Objets importés 

La quasi totalité provient des pays méditerranéens (seuls deux tessons ont été identifiés par Patrice Arcelin (CNRS) comme étant de la céramique celtique), ce qui montre que l’économie d’Entremont était tournée vers ces pays et non vers la Gaule. Ils arrivaient sans doute à Entremont le plus souvent par l’intermédiaire des commerçants grecs de Massalia. Ils sont faits au tour, sauf pour les formes très particulières.
— amphores : nombreux tessons ; nous avons pu en reconstituer plus ou moins complètement 4, de type gréco-italique ; on a aussi trouvé 3 couvercles d’amphore où est visible l’empreinte digitale du potier ou de la potière, détail émouvant à 22 siècles de distance. 

Fig. 43 : Entremont, 3, 1. Amphores reconstituées.
Fig. 44 : Entremont 3, 1. Couvercles d’amphore.

— une grande œnochoé (fragment), sorte de broc, d’origine incertaine.
— céramique campanienne (région de Naples) : vaisselle de demi-luxe, recouverte d’un vernis noir brillant, représentée surtout par des bols et une lampe à huile sans son anse.

Fig. 45 : Entremont 3, 1 : Bol en céramique campanienne A.
Fig. 46 : Entrem. 3, 1. Lampe à huile campanienne (anse brisée disparue)

— céramique à pâte claire de Massalia (Marseille).
— la céramique catalane, représentée surtout par un vase de type « sombrero de copa », le premier exemplaire presque entier retrouvé à Entremont. Comme l’indique son nom espagnol, il a la forme d’un chapeau mais à l’envers, presque cylindrique, à peine évasé, avec un rebord plat et un décor de bandes peintes de couleur brique.

Fig. 47 : Entremont 3, 1. Vase dit « sombrero de copa » provenant de la région catalane.

— céramique à paroi fine, parfois ornée de lignes formées de petites pointes de barbotine (Italie centrale). Il s’agit de gobelets pour boire, assez hauts et étroits, en forme de fuseau, à lèvre moulurée.

Fig. 48 : Entremont 3, 1. Tessons de céramique à paroi fine d’Italie centrale.

***