4.1. PRÉSENTATION DE L’OPPIDUM D’ENTREMONT
SOMMAIRE
4.1.1. Histoire de l’oppidum d’Entremont
4.1.2. Histoire des découvertes et des fouilles
4.1.3. Le statut administratif du site
4.1.4. Description rapide de l’oppidum
4.1.5. Bibliographie et Internet
4.1.1. Histoire de l’oppidum d’Entremont
(dernière mise à jour de cette page : 15 septembre 2023)
Les habitants de la Provence antique à l’Âge du Fer (8e – 1er siècles avant J.-C.)
La présence des ancêtres d’homo sapiens (l’homme actuel) en Provence est attestée depuis des centaines de milliers d’années (vestiges d’homo erectus près de Nice par exemple). À l’Âge du Fer cohabitent plusieurs populations.
La plus ancienne dont on connaisse le nom (par les écrivains grecs antiques) est celle des Ligures, dont le territoire semble s’étendre, au 6e siècle avant notre ère, de l’Hérault ou peut-être seulement du Rhône jusqu’à la région de Gênes en Italie. À l’époque d’Entremont, ils n’occupent plus que la Provence orientale. Les Grecs et les Romains les considèrent comme des barbares à la culture fruste, enclins au pillage et à la piraterie, mais fournissant de vaillants mercenaires. Les archéologues actuels voient en eux une première vague de migration celtique. Toutefois cette population demeure mal connue.
On trouve aussi des Celtes. Si l’on en croit César (Guerre des Gaules, 1, 1), le nom Celtes est celui que ce peuple se donnait à lui-même, alors que Galli est le nom utilisé par les Romains et semble dériver d’un nom germanique ; le nom français Gaulois dériverait aussi directement d’un nom germanique sans passer par le latin. Les Celtes (ou Gaulois) sont arrivés probablement assez tôt et progressivement par la vallée du Rhône et par les Alpes, peut-être dès le 8e s. ou même avant. En tout cas, au 4e s., ils sont devenus assez nombreux parmi les Ligures pour que quelques historiens grecs antiques qualifient cette population mixte de « celtoligure ».
Parmi ces Celtoligures, au 2e s. av. J.-C., un groupe semble exercer une certaine hégémonie, ce sont les Salyens (adaptation française du mot grec Salyès ; les Romains disaient Salluvii, transposé en français par Salluviens). Ce nom n’a rien à voir avec les prêtres « saliens » à Rome (culte du dieu Mars) ni avec la tribu germanique des Francs Saliens (postérieurs de plusieurs siècles). Le territoire propre des Salyens s’étend du Rhône jusqu’à une limite incertaine vers l’est, quelque part dans l’actuel département du Var (mais ils semblent exercer une certaine autorité sur d’autres petits peuples jusqu’au fleuve du Var), et au nord jusqu’à la Durance. Au sud la limite est le littoral mais ils ne détiennent pas le littoral à l’ouest de Marseille (chaîne dite de la Nerthe ou de l’Estaque) ni les collines au sud de la Crau. Regroupés le plus souvent dans des villages perchés et fortifiés, appelés oppidums par les archéologues, les peuples de cette « ligue » salyenne constituent une force redoutable.
UN PEU DE GRAMMAIRE LATINE EN PASSANT…
Le mot oppidum est emprunté au latin ; il signifie dans cette langue « place forte » ou « chef-lieu ». Quel est son pluriel en français : oppidums ou oppida ? Le Trésor Informatisé de la Langue Française ne donne qu’un seul pluriel : oppidums. Et il a bien raison. Ne disons-nous pas en effet, sans hésitation, pour ces autres mots latins au pluriel : des albums, des aquariums, des forums, des ultimatums, etc ? Le pluriel en -a serait la forme latine, mais si l’on veut appliquer au français les règles de la grammaire latine, cela nous mènera loin ! En effet, le latin est une langue à déclinaison, ce qui veut dire que la terminaison des mots change non seulement entre le singulier et le pluriel mais aussi selon le genre (masculin, féminin, neutre) et selon la fonction grammaticale du mot dans la phrase (sujet, complément…). Et donc cette terminaison en -a n’est correcte que si le mot au pluriel est sujet ou complément d’objet (et encore, en simplifiant beaucoup les choses). Si le mot est complément du nom, il faudra dire oppidorum, et s’il est complément de lieu, ce sera souvent oppidis. De même, au singulier, il faudra dire oppidi ou oppido selon la fonction grammaticale ! On voit à quelle absurdité conduirait le désir d’utiliser en français la grammaire latine. Lorsque le français emprunte un mot à une autre langue, il doit le soumettre ensuite à ses propres règles. C’est pourquoi nous dirons aussi des doliums (jarres) et non pas des dolia.
Cela dit, parce que le français, comme toutes les autres langues, n’est pas toujours très logique, il y a quelques anomalies consacrées par l’usage. Par exemple nous utilisons le pluriel latin pour dire un agenda, un média. Mais en l’occurrence cela peut s’expliquer. Si nous disions un agendum (singulier latin), cela voudrait dire que sur notre carnet, il n’y a toujours qu’une seule « chose à faire » (sens du mot agendum) ! Et quand nous disons un médium (ce qui signifie « situé au milieu » en latin), le sens change, c’est en général que nous parlons alors d’une voix intermédiaire entre l’aigu et le grave ou d’une personne qui prétend servir d’intermédiaire entre les humains et les esprits ! Voilà pourquoi ni votre journal préféré, ni votre radio préférée n’est un médium mais un média, c’est-à-dire un « intermédiaire de communication » (on dit en anglais mass media).
Profitons-en pour dire un mot de l’expression (au singulier) le big data, c’est-à-dire l’accumulation énorme de données de toutes sortes dans des ordinateurs géants. En fait le mot data n’est pas du tout un mot anglais, c’est un pluriel neutre latin qui signifie « les choses données », qui vient du participe passé datus du verbe dare signifiant « donner ». La langue anglaise a adopté beaucoup de mots latins puis a parfois oublié leur origine.
Des Grecs également se sont installés en plusieurs points du littoral. Partis de la ville portuaire grecque de Phocée (aujourd’hui en Turquie), ils sont venus fonder la colonie de Massalia (Marseille) en 600 av. J.-C. Puis ces Grecs de Massalia (appelés Massaliètes ou Massaliotes) ont créé à leur tour plusieurs comptoirs sur le littoral pour organiser leur commerce maritime : Tauroeis (à Six-Fours-les-Plages), Olbia (à Hyères), Antipolis (Antibes), Nikaia (Nice)… Peu nombreux et dépourvus d’armée importante (ce qui les oblige parfois à engager des mercenaires celtes), ils se protègent derrière de solides fortifications. Mais leur civilisation brillante et leur talent commercial font de Massalia le grand pôle économique de la région.
Et à l’arrière-plan se profile la grande puissance romaine. En effet, au début du 2e s. av. J.-C., à la suite de leur victoire lors de la 2e guerre punique (punique est un synonyme de carthaginois) contre le célèbre chef de guerre Hannibal, les Romains détiennent déjà toute l’Italie (sauf le nord-est qui leur est de toute façon favorable), une bonne partie de l’Espagne et toutes les îles intermédiaires, sans oublier l’Afrique carthaginoise. Et ils vont bientôt s’emparer de la Grèce et de l’ouest de l’Asie Mineure (ouest de l’actuelle Turquie). Un ancien et solide traité d’alliance unit Massalia à Rome et les deux États y trouvent leur compte tantôt pour la guerre, tantôt pour le commerce.
Histoire de l’oppidum d’Entremont
Avant la création de l’oppidum il y avait déjà sur la colline un « champ de stèles » daté du 1er Âge du Fer (8e – 4e s. av. J.-C.). Cette période est appelée Entremont 1. C’était des blocs de pierre bien taillés, pouvant dépasser 1 mètre de haut et plantés debout dans le sol. Plusieurs avaient été gravées de diverses figures, notamment des têtes humaines schématiques. On peut supposer que ces stèles étaient destinées à commémorer des chefs illustres et des victoires militaires et faisaient peut-être aussi office d’ex-voto. Elles furent par la suite abattues ou tombèrent naturellement et réutilisées comme pierres à bâtir dans certaines constructions de l’oppidum.
Le nom « Entremont » n’est pas le nom antique de cette ville qui reste anonyme pour les historiens ; il date seulement du Moyen-Age et désignait alors la colline sur laquelle les ruines antiques étaient devenues mal identifiables. Il est très probable, d’après les documents antiques, que c’était la capitale du peuple gaulois des Salyens.
Du point de vue de la topographie locale, le site est un rebord de plateau grossièrement triangulaire. Les côtés sud-est et sud-ouest sont assez bien défendus par un escarpement naturel ; en revanche, les habitants durent construire de longs murs pour se protéger du côté nord. Pour l’approvisionnement en eau, ils avaient une ou plusieurs sources en contrebas de l’oppidum, du côté sud-est.
Les fouilles ont montré que la ville avait été créée vers 180/175 av. J.-C. Elle occupait alors seulement un hectare à peu près, au sommet de la colline. C’est le secteur qu’on appelle aujourd’hui la « ville haute » ou « Entremont 2 » ou encore « Habitat 1 ». Puis, vers 160-155 av. J.-C., elle fut considérablement agrandie vers le nord, atteignant au total 3,5 hectares. Les côtés nord-est et nord-ouest de la première enceinte, devenus inutiles, furent presque complètement démontés pour en récupérer les pierres et on construisit un autre rempart pour protéger cette extension appelée aujourd’hui « ville basse » ou « Entremont 3 » ou « Habitat 2 ». Ainsi agrandi, Entremont faisait partie des oppidums de taille moyenne de la région. Mais on ignore l’effectif de la population (2 500 habitants ?).
En 154, les Massaliètes, exaspérés par la piraterie celtoligure contre leurs navires de commerce et leurs comptoirs, avaient appelé à l’aide leurs alliés romains. Ces derniers avaient envoyé une armée qui avait massacré deux peuples ligures puis ils avaient donné leur territoire à Massalia et l’armée était rentrée à Rome.
En 125, les désordres ayant recommencé, les Romains furent de nouveau appelés et ils décidèrent alors de soumettre toute la Provence. C’était en fait le début de la conquête de la Gaule (Gallia Transalpina), 67 ans avant les campagnes de César. La guerre dura trois ans et en 123, le proconsul Sextius s’empara d’Entremont. Les archéologues ont trouvé des traces du siège, par exemple des boulets des balistes romaines. L’année suivante, en 122, Sextius créa un camp militaire permanent dans la plaine, près de sources thermales, et il baptisa ce camp Aquae Sextiae, « les eaux sextiennes », devenu aujourd’hui Aix-en-Provence qui fut donc le premier établissement romain sur le territoire actuel de la France (le second serait Narbonne, fondée en 118).
Cependant l’oppidum ne fut pas abandonné, une partie de la population fut autorisée à y demeurer et continua à y vivre jusqu’en 102 ou 90. En effet, en 102 arriva une immense foule de barbares venus du nord (principalement des Ambrons et des Teutons) qui cherchaient à gagner l’Italie et il est très possible que les Gaulois d’Entremont aient alors abandonné leur ville, soit pour se joindre aux barbares, soit pour se réfugier auprès de l’armée romaine. Mais ces envahisseurs furent anéantis par le général romain Gaius Marius à côté d’Aquae Sextiae. Peu après, en 90, les Salyens se révoltèrent contre Rome, mais une armée romaine les massacra et on n’entendit plus parler de ce peuple gaulois. L’oppidum d’Entremont, né moins d’un siècle plus tôt, sombrait dans l’oubli pour 19 siècles.
4.1.2. Histoire des découvertes et des fouilles
(dernière mise à jour de cette page : 12 novembre 2022)
On avait bien remarqué depuis longtemps, sur la colline d’Entremont, des restes de gros murs, des scories de fer, des débris de meules et de céramiques attestant l’existence d’un ancien village, mais sans chercher à en savoir plus. Puis en 1817, des professeurs du Petit Séminaire d’Aix (un collège catholique), venus explorer le site, découvrirent, remployés dans des murs modernes, trois blocs sculptés en bas-relief représentant des têtes et des cavaliers. Ces blocs furent transportés dans la cour de la mairie et, après quelques hésitations, ces sculptures furent attribuées à la civilisation préromaine des Salyens et on comprit alors qu’il y avait là un habitat antique.
Mais comme en ce temps-là les « antiquaires » (= archéologues) s’intéressaient en priorité aux vestiges romains, grecs ou égyptiens et que le terrain (privé) d’Entremont était consacré à l’agriculture, il n’y eut aucune fouille, on se contenta de recueillir par hasard, de temps en temps, çà et là des débris de sculpture, de céramique, de meules, des scories de fer, une pierre de pressoir… Les années passèrent.
En 1943, pendant la guerre, l’armée allemande construisit un camp sur la colline (les bâtiments modernes qu’on y voit datent de cette époque et sont aujourd’hui utilisés par les archéologues) et y fit creuser une citerne. Et, par une chance extraordinaire, cette excavation fit apparaître de nombreux morceaux de sculpture gauloise en pierre : têtes, torses, bras, etc. Cette découverte exceptionnelle eut un grand retentissement.
C’est pourquoi, quelques mois après la fin de la guerre, en février 1946, le directeur de la circonscription archéologique de Provence, Fernand Benoit, fit entreprendre des sondages puis de grandes fouilles régulières chaque année, le travail sur le terrain étant dirigé par Robert Ambard.
Malheureusement l’armée de l’air française s’était installée dans l’ancien camp allemand et cela limitait beaucoup les fouilles. Elle n’abandonna le terrain qu’en 1972. À la mort de F. Benoit en 1969, le chantier fut poursuivi par R. Ambard, jusqu’en 1976. Entre-temps, l’État avait fait l’acquisition de tout le site dès la fin de la guerre et le classa, en 1980, « monument historique ».
En 1976, une équipe de bénévoles de notre association, dirigée par Jean-Louis Charrière, obtint l’autorisation de fouiller une pièce de l’oppidum (dans l’habitat 2, dans la zone non visitable) qui se révéla être un atelier de pressoir. Cette fouille continua en 1977 et 1978 puis, après une interruption, s’acheva en 1985. Ce chantier a apporté des informations très utiles sur le fonctionnement de ce type d’atelier.
Puis des archéologues professionnels, notamment Patrice Arcelin et Gaëtan Congès, succédèrent à R. Ambard et, tout en fouillant une surface bien plus réduite que Fernand Benoit, améliorèrent très sensiblement la connaissance du site grâce aux méthodes modernes plus performantes.
Mais dès le début des années 1990, les campagnes de fouilles devinrent discontinues et de plus en plus rares et la dernière fouille en date a eu lieu en 2009. En effet, un quart environ du site est dégagé, ce qui permet d’en avoir déjà une bonne idée, et le classement le met à l’abri. Il reste pourtant bien des questions auxquelles de nouvelles fouilles et recherches aideraient à répondre.
En fait, le budget dont dispose le Service Régional de l’Archéologie (Ministère de la Culture) s’est beaucoup amenuisé depuis de nombreuses années et il consacre donc ses ressources à d’autres chantiers prioritaires où le potentiel archéologique est menacé par des projets d’aménagement : routes, voies ferrées, construction d’habitations, de locaux industriels ou commerciaux, d’établissement d’enseignement, etc.
Pour en savoir plus sur l’historique des recherches à Entremont de 1817 à 1996, sur l’oppidum lui-même et les Salyens en général, consultez le n°21 (1998) de la revue Documents d’Archéologie Méridionale, disponible en ligne : https://www.persee.fr/issue/dam_0184-1068_1998_num_21_1
Sur la fouille réalisée en 1999, consultez : https://journals.openedition.org/dam/1681
Récemment, au printemps 2021, la Direction Régionale des Affaires Culturelles (ministère de la Culture), cherchant à faire des économies sur l’entretien des vestiges, a fait remblayer la rangée de maisons antiques bâties contre la face intérieure du rempart nord. Nous nous étions opposés, en vain, à ce projet parce qu’il rend invisibles une grande partie de la zone où les murs antiques sont les mieux conservés (jusqu’à 2 m de haut) et le seul endroit où l’on pouvait voir les égouts pluviaux passant sous les habitations et sous le rempart.
4.1.3. Le statut administratif du site
(dernière mise à jour de cette page : 21 mars 2020)
Le site d’Entremont est classé « monument historique » depuis 1980 et appartient à l’État. Il est géré conjointement par :
– le Service Régional de l’Archéologie (SRA) – tél. 0 442 991 000
– et la Conservation Régionale des Monuments Historiques, tél. 0 442 161 921.
Ces deux services font partie de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) de Provence-Alpes-Côte d’Azur, 23 bd du Roi René, 13617 Aix-en-Provence Cedex 1, qui représente le ministère de la Culture.
L’Association Archéologique Entremont a signé en 2005 avec la DRAC une convention qui l’autorise à organiser des visites guidées de l’oppidum, à publier un guide du site et à y réaliser, après autorisation, quelques aménagements superficiels, par ex. la pose de panneaux explicatifs.
4.1.4. Description rapide de l’oppidum
(dernière mise à jour de cette page : 15 septembre 2023)
Cette description rapide est destinée seulement à vous donner une idée de ce que vous pourrez voir sur le site. Vous trouverez une vraie description détaillée dans le livret intitulé L’oppidum gaulois d’Entremont à Aix en-Provence, avec un circuit de visite commenté, publié en septembre 2019 par l’Association Archéologique Entremont (voir ici la section 2.5.2), indispensable sur le terrain pour comprendre les vestiges et ne pas rater ce qui mérite d’être vu.
La zone fouillée représente environ un quart de la surface totale de l’oppidum et la zone visitable à peu près un cinquième parce qu’une partie de la zone fouillée a été ré-ensevelie par mesure de protection. Cette partie recouverte se trouve d’ailleurs dans une zone réservée aux archéologues, non accessible au public.
La ville haute (Entremont 2 ou Habitat 1)
Elle n’est pas complètement fouillée. C’est le premier état de la ville, créé vers 180 avant J.-C. au sommet de la colline. Cette ville a la forme d’un losange, dont les côtés sud-est et sud-ouest étaient défendus par l’escarpement rocheux et une enceinte presque complètement disparue. Sur les deux autres côtés, sans défense naturelle, les premières assises de l’enceinte ont subsisté. Le côté nord-est n’a été qu’entrevu, il n’a pas été fouillé. Au nord-ouest se dressait une courtine peu épaisse (environ 1 m) renforcée par quatre tours creuses (ou peut-être pleines de terre à l’origine) ; mais certains indices laissent penser que cette section de l’enceinte fut reconstruite sur les anciennes fondations à une date inconnue. L’entrée était probablement située à l’angle nord-ouest, mais ce secteur est détruit.
L’urbanisme est très régulier : un quadrillage de rues délimite des îlots à peu près rectangulaires divisés en deux rangées de pièces. Les rues sont étroites et on n’a découvert aucune place ni aucun édifice pouvant être interprété comme bâtiment public ou sanctuaire. Il y en avait peut-être tout au sommet de la colline, mais la fouille a à peine effleuré cette zone de toute façon très abîmée par l’érosion.
La ville basse (Entremont 3 ou Habitat 2)
C’est un agrandissement créé vers 160/155 avant J.-C. au nord de la première ville. Il n’est que partiellement fouillé lui aussi : toute la partie orientale n’est encore qu’un parc de verdure, très agréable d’ailleurs, recouvrant les ruines dont la présence est connue par des sondages et des prospections électroniques. Elle occupe 2,5 hectares et se trouve protégée du côté du plateau par un rempart de 380 m de long et d’environ 2,5 à 3 m d’épaisseur, renforcé tous les vingt mètres par un bastion massif. On ne connaît dans ce mur que deux portes, l’une à son extrémité nord-ouest (secteur très ruiné, non visitable), l’autre à son extrémité nord-est repérée seulement par un sondage électronique.
L’urbanisme de la ville basse est moins régulier que dans la partie dégagée de la ville haute ; les pièces sont souvent plus grandes et communiquent parfois entre elles pour former des unités d’habitation plus complexes. D’autre part, plusieurs de ces pièces sont des ateliers (voir ci-après, « Les métiers »). Comme dans la ville haute, les maisons ont été construites jusque contre le rempart. La large rue qui passe devant le « portique aux crânes » a été en partie recouverte d’une seconde chaussée plus étroite aménagée sur un hérisson de grosses pierres (dégagées sur quelques mètres) : nous pensons qu’il s’agit plutôt d’un aménagement romain après la prise de la ville mais c’est une question controversée.
Un édifice particulier: le « portique aux crânes » (salle hypostyle)
Ce bâtiment, construit entre deux tours du rempart de la ville haute après l’agrandissement de l’oppidum, comportait au rez-de-chaussée une seule grande salle de 21 m sur 6 m, et un étage dont on a retrouvé quelques débris. Au rez-de-chaussée, il subsiste une sorte de banquette faite de stèles remployées couchées, qui longeait le mur du fond disparu. La façade était rythmée par des poteaux de bois dressés sur une autre rangée de stèles, piliers ou linteaux couchés. L’un de ces blocs (sur le site, c’est un ancien moulage, assez dégradé ; l’original est conservé au musée Granet) est gravé de douze têtes, sur un autre (c’est l’original) apparaît un serpent en relief.
Il s’agissait d’un édifice public destiné, au moins en partie, à l’exposition de têtes d’ennemis ayant valeur de trophées. On a retrouvé une quinzaine de crânes en fouillant ce portique. Cette exposition de têtes comme trophées est attestée par les historiens antiques à propos de tous les Celtes.
Quant aux stèles remployées, elles appartenaient probablement à un lieu sacré, un « champ de stèles », bien antérieur (8e – 5e siècle av. J-C.), dont on ignore tout, qui fut démantelé soit déjà avant la création de l’oppidum, ses éléments servant à construire un autre sanctuaire lui aussi disparu, soit lors de la création de l’habitat 1 (Entremont 2), soit encore lors de son extension (habitat 2, Entremont 3).
Les matériaux et les techniques
Toutes les constructions sont pour l’essentiel en calcaire local, de qualité souvent médiocre. Une carrière non datée, mais qui pourrait être contemporaine de l’oppidum, a été mise au jour en 1983 à 150 m au nord-ouest de l’oppidum lors des terrassements effectués pour créer la voie rapide RN296.
En guise de mortier, les Salyens utilisaient simplement de la boue qui durcissait en séchant. Certaines cloisons étaient en terre banchée (moulée et tassée dans un coffrage) ou en grandes briques séchées au soleil (adobes), renforcées éventuellement par un colombage ; ces cloisons fragiles, repérées pendant la fouille, ont fini par disparaître. Les sols des maisons sont en terre battue (du gravier y a été répandu par endroits il y a quelques années pour limiter la pousse des herbes). Certaines maisons semblent avoir eu un étage, accessible par un escalier extérieur ou une échelle intérieure. Les toits étaient plats, en terrasse.
Les métiers et la vie quotidienne
Les fouilles ont mis au jour, uniquement dans la ville basse, des vestiges d’ateliers : foyers de fumoir pour la viande ou le poisson, four, forge et surtout des pressoirs. Ces pressoirs étaient considérés, depuis le début des fouilles en 1946, comme des pressoirs à huile. Mais des analyses effectuées en 2015 sur des doliums stockés dans l’un de ces ateliers de pressage ont montré qu’il s’agissait peut-être d’un pressoir à vin. Il faudra d’autres analyses pour confirmer cette nouveauté inattendue. De ces pressoirs, il subsiste en général la dalle de pressage et un gros poids en pierre pour actionner le levier ; le bâti en bois où s’articulait le levier de presse a disparu.
La plupart des objets les plus intéressants découverts lors des fouilles, ainsi que la statuaire, sont présentés au musée Granet à Aix (voir ici section 4.3). On a trouvé notamment des objets en fer évoquant divers métiers (par ex. des serpes, des pinces, des lames de couteau, des outils agricoles). Le tissage est attesté par la découverte de « fusaioles », poids vaguement sphériques lestant le fuseau.
Pour s’éclairer, les Salyens se servaient de torches ou de lampes à huile. Il y avait de la vaisselle en bois (qui a disparu) et en céramique. Une partie de ces vases était fabriquée sur place ; certaines jarres (les doliums) étaient très grosses (jusqu’à 1,5 m de haut) : il en reste beaucoup de débris sur le champ de fouilles. Une autre partie de la vaisselle était importée d’Italie ou parfois d’Espagne, le plus souvent par l’intermédiaire de Massalia.
Les Salyens, en plus de leur propre production apparemment peu satisfaisante, achetaient aussi du vin aux Massaliotes qui le leur livraient dans des amphores (qui sont des « emballages perdus ») . Les habitants n’avaient pas de monnaie nationale, ils utilisaient principalement le monnayage grec de Massalia. Le troc était fréquent.
L’art
Une étude récente (Arcelin et Rapin, 2002) affirme l’existence à Entremont de deux catégories très distinctes de travail sur la pierre.
— La première remonterait probablement au 1er âge du Fer (avant 400 avant notre ère). Il s’agit de représentations très sommaires de têtes humaines, gravées sur des stèles qui furent ensuite réutilisées comme matériau de construction.
— La seconde, datée du 3e s. (et peut-être du tout début du 2e s.) av. J-C., regroupe des bas-reliefs et des statues en ronde bosse. Ces sculptures étaient peintes, mais les couleurs ont disparu presque complètement. Leur abondance est exceptionnelle : c’est actuellement le gisement le plus important de l’Europe celtique.
Par malheur, aucune statue retrouvée n’est entière, elles ont été délibérément fracassées dans l’antiquité (par les Romains ?). On constate cependant qu’il s’agit en général d’hommes assis « en tailleur », en tenue militaire ou d’apparat, et tenant sur leurs jambes pliées une ou plusieurs têtes coupées. Il y a aussi au moins trois statues de femmes (c’est très rare en Gaule préromaine) et au moins trois cavaliers. Il s’agit probablement de statues honorifiques de personnalités aristocratiques ou religieuses.
Les fouilles ont aussi livré des objets d’orfèvrerie : louches en bronze, bagues, fibules (broches de vêtement) ainsi que des perles en verre coloré. D’autres bijoux sont représentés sur les statues : colliers (le traditionnel torque gaulois), bracelets, ornements de cuirasse…
4.1.5. Bibliographie et Internet
(dernière mise à jour de cette page : 11/11/2024)
PUBLICATIONS SUR PAPIER, certaines disponibles aussi sur Internet
A. Pour le grand public
LE SEUL GUIDE ACTUELLEMENT DISPONIBLE est celui que publie notre association, régulièrement réédité. La dernière édition, fortement augmentée (94 pages, nombreuses illustrations et 2 plans dépliants), est parue en octobre 2023 (voir rubrique 2.5. sur le présent site Internet) : L’oppidum gaulois d’Entremont à Aix-en-Provence, avec un circuit de visite commentée. Elle est en vente au prix de 12 euros à l’Office de tourisme d’Aix, à la boutique du musée Granet et à la librairie Goulard (cours Mirabeau).
B. Pour les spécialistes ou le grand public passionné
Il existe beaucoup de monographies ou d’articles dans des revues scientifiques traitant de tel ou tel aspect de l’oppidum d’Entremont, le plus souvent considéré avec d’autres sites analogues. Ce n’est pas notre objectif d’en dresser ici la trop longue liste. Voici simplement quelques titres importants qui contiennent tous une bibliographie plus ou moins copieuse.
— Guy Barruol, Les peuples pré-romains du sud-est de la Gaule, étude de géographie historique, 1969 (réimprimé en 1975), 408 pages. Ce livre très important mais ancien mériterait une mise à jour.
— Denis Coutagne (direct. de public.), Archéologie d’Entremont au musée Granet, 1987 (réédité en 1993), 264 pages, nombreuses illustrations. Cet ouvrage a été longtemps le plus complet mais il est désormais dépassé sur plusieurs points par les études plus récentes (voir ci-après).
— Dans la revue Documents d’Archéologie Méridionale, trois volumes sont très importants pour Entremont ; on peut les consulter sur Internet : https://journals.openedition.org/dam/
https://www.persee.fr/collection/dam
– le vol. 21, 1998, qui contient un dossier sur « Entremont et les Salyens ».
– le vol. 27, 2004, qui contient un dossier sur « La sculpture protohistorique de Provence dans le Midi gaulois ».
– le vol. 34, 2011 (paru en 2013), entièrement consacré aux « Stèles et statues du début de l’âge du Fer dans le Midi de la France ».
— Jean Chausserie-Laprée (direct. de public.), Le temps des Gaulois en Provence, 2000, 280 pages.
— Patrice Arcelin, Avant Aquae Sextiae, l’oppidum d’Entremont. Article paru dans le volume 13/4 de la Carte Archéologique de la Gaule, 2006, pages 125 à 168. Cette étude d’ensemble constitue une excellente base de départ. Des mises au point et mises à jour détaillées sont à chercher dans le grand ouvrage de 800 pages signalé ci-après, paru en 2021.
— Michel Py, Les Gaulois du Midi, de la fin de l’âge du Bronze à la conquête romaine, nouv. édit. revue et augmentée, 2012, 400 p., où vous trouverez une bibliographie de 52 pages ! Disponible en ligne sur : https://www.academia.edu/7960324/Les_Gaulois_du_Midi_de_la_fin_de_l_Age_du_Bronze_à_la_conquête_romaine_nouvelle_édition_revue_et_augmentée
— Patrice Arcelin (direct. de public.), Entremont, une agglomération de Provence au IIe siècle avant notre ère (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône). Supplément n° 51 de la Revue Archéologique de Narbonnaise, 2021, 800 pages, nombreuses illustrations. C’est désormais la publication de référence, à acheter en librairie, 50 €.
Cet ouvrage collectif (auquel a participé Jean-Louis Charrière, président de l’Assoc. Archéol. Entremont) est destiné surtout au spécialiste. C’est le premier volume d’une série qui doit en comporter trois : le vol. 2 sera consacré à la céramique et le vol. 3 à tout le reste du mobilier, notamment la sculpture et les objets métalliques (sauf les monnaies, étudiées dans le vol. 1).
Ce 1er volume traite des sujets suivants :
– Les sources et l’historique des recherches avant 1976
– Les monnayages
– L’étude des restes humains
– Les résultats des fouilles récentes (1976 à 2011)
– L’histoire de l’oppidum.
— Réjane Roure et Diane Dusseaux (direct. de public.), Gaulois ? Gaulois ! Comment l’archéologie perçoit les identités celtiques, catalogue de l’exposition du même nom présentée au musée archéologique Henri Prades à Lattes (34) de novembre 2021 à juillet 2022, éditions Snoeck, Gand, 2021, 200 pages. Pour le dire rapidement, c’est une très intéressante comparaison entre les Gaulois du sud et ceux du nord, essentiellement en France.
SITE INTERNET
Au printemps 2020 le ministère de la Culture a mis en ligne une nouvelle version de son site Internet consacré à l’oppidum d’Entremont : https://archeologie.culture.fr/entremont/fr
Cette nouvelle présentation est plus facile à exploiter que la précédente mais nettement moins nourrie. Vous y trouverez un résumé des connaissances acquises sur l’oppidum, rédigé par des archéologues.
Mais les informations pratiques pour la visite peuvent se révéler parfois incomplètes. Cela nous fait d’autant plus regretter que, malgré notre demande, l’adresse du site Internet de notre association n’y figure pas, alors qu’il constitue un complément utile justement pour les informations pratiques sur les visites, plus détaillées et régulièrement mises à jour.